Pour Lire |
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Lors d’une embrassade radiophonique entre Philippe Val et Jean-Marie Messier (France Inter, 05.11.2000, lire ci-après), chacun des « débatteurs » avait fait la promo de son bouquin. Val s’était présenté : « J’ai trente-cinq salariés » (Charlie Hebdo, 8.11.2000). Mais, pour Val, il était également impératif que, dans son journal, un de ses laquais lui lustre les bottines. Qui serait donc le Semprun du dictateur de Charlie Hebdo ? Sans doute galvanisé de découvrir, dans Paris Match, qu’il était devenu l’auteur de chevet d’un Messier en chaussette trouée, Bernard Maris (alias Oncle Bernard), se précipita pour servir un patron, le sien. Maris, rédacteur en chef adjoint de Charlie Hebdo écrivit donc ceci à propos du bouquin de son supérieur hiérarchique : « Je pensais : les chroniques de Philippe, je les écoute le lundi après le bouclage du journal, je les connais, pas besoin de les lire. Non, je ne les connaissais pas. Je savais qu’elles étaient drôles, vivantes, dites pour faire rire, mais je n’imaginais pas qu’elles étaient si subversives, méchantes, impitoyables pour tous ceux qui le cherchent… L’écrit ne dit pas la même chose que l’oral. Philippe a du bol : il est bon dans les deux. l’écrit permet de relire, de savourer, d’être émerveillé, puis encore émerveillé, de se pincer… On est emporté par la lecture de ces chroniques. On ne les lâche pas une minute… On est intelligent, on philosophe, on apprend. On vit. » Bernard, on meurt aussi. De profundis Maris.
Récemment, un « débat » particulièrement savoureux « opposait » le rédacteur en chef du Non-événement du mercredi (NEM, parfois appelé Charlie Hebdo) et le PDG de l’ex-Générale des eaux (rebaptisée Vivendi). Il montre à quel point le combat idéologique des « contestataires » est soluble dans le débat médiatique. Philippe Val était orphelin : le cours du Cohn-Bendit s’était brutalement effondré ; l’OTAN n’avait plus besoin de publicité. Val prospectait une cause pour son journal en déclin. Or Jean-Marie Messier cherchait un attaché de presse. Le sien privilégiait trop la quantité à la qualité : le Figaro Magazine avait convié Messier à faire le paon (23.09.2000), Libération publiait son portrait (28.09.2000), Elle lui consacrait plusieurs pages (2.10.2000), Franz-Olivier Giesbert salivait en apprenant son salaire (« Le Gai Savoir », Paris Première, 03.10.2000), Jean-Marc Sylvestre le manucurait (« Le club de l’économie », LCI, 15.09.2000), Bernard Pivot le brossait (« Bouillon de Culture », 29.09.2000), Paris Match exhibait ses chaussettes trouées (21.09.2000). Déjà, Daniel Schneidermann, Thierry Ardisson et Ariel Wizman le suppliaient de venir dévoiler la marque de ses sous-vêtements sur les plateaux d’« Arrêt sur images » (La Cinq, 11.12.2000), de « Tout le monde en parle » (France 2, 16.12.2000) et de « L’Appartement » (Canal Plus, 17.12.2000). Partout où Messier glissait l’orteil, on lui tressait des couronnes. De son interminable tournée chez les journalistes, l’auteur de […] a retenu ceci : « Ce que je trouve sympa, c’est quand vous allez dans un endroit, comme en arrivant là sur le plateau, il y a quelqu’un qui arrive avec le bouquin et qui dit : “Vous pourriez me mettre une petite dédicace ?” » (« Tout le monde en parle », France 2, 16.12.2000) C’est ici qu’« arrive avec le bouquin » notre ami Laurent Mouchard, qui, sous le nom de Laurent Joffrin, dirige la rédaction des très rares pages non publicitaires du Nouvel Observateur. Joffrin sautille de joie à l’idée d’accueillir dans son émission de France Inter un « débat » prévu de longue date entre Philippe Val, lui aussi chroniqueur à France Inter, et Jean-Marie Messier. Val, qui jusque là hésitait, se souvient : « Quand on m’a proposé un face à face dans l’émission de Laurent Joffrin, “Diagonales”, alors que tout en moi disait “non”, je me suis entendu répondre “oui”. 6» Pourquoi oui ? Parce qu’on ne refuse pas un service à son ami Mouchard – gentil Mouchard, fidèle Mouchard, scrupuleux petit Mouchard qui ne s’endort jamais quand Philippe lui récite des phrases de Proust au cours de leurs dîners en tête à tête. Au demeurant, France Inter, c’est un peu la radio de Val, le chouchou de Jean-Luc Hees, patron de l’antenne. Le « débat » commence (France Inter, 5.11.2000) ; l’équipe de PLPL se pince pour ne pas s’assoupir. D’emblée, Laurent Mouchard-Joffrin présente l’ex-Compagnie générale des eaux comme « une grande multinationale de la culture » alors même que son PDG n’ose parler que d’un « groupe mondial de communication ». Celui que ses employés surnomment « le Kim Il-Sung de la rue de Turbigo 7» découvre qu’une position de pouvoir le soude à son protagoniste. Il explique qu’à Charlie Hebdo, « en termes de pouvoir, évidemment les responsabilités sont prises par des gens qui se sont retrouvés à devoir pouvoir les prendre, à pouvoir les prendre. » Le « débat » s’intitulant « Vivendi, la mondialisation et la culture », Val brûle de rentabiliser les centaines d’heures passées à réviser Montaigne ou les Encyclopédistes et à écrire les fiches de citations qu’il a prévu de lire à l’antenne. Les rogatons seront administrés aux lecteurs du NEM (Le Non Événement du Mercredi i.e. Charlie Hebdo). Aimant trop être aimé pour prendre le risque d’être détesté par Messier, Val plaidera : « Il est un homme, comme moi. Son monde, c’est aussi le mien. Si, pour les humains, les façons d’exprimer et de réaliser leurs désirs sont infiniment diverses, nous avons un fond commun qui rend impossible de considérer l’autre comme un étranger. » (NEM, 08.11.2000). Ému, PLPL a pleuré.
Le « face à face » promis tourne au badinage mondain entre un gros patron qui se prend pour le maître du monde et un petit patron qui se prend pour Spinoza. Parce qu’on ne peut débattre sans partager avec son adversaire un accord minimal sur l’utilité même du débat, et parce que l’objectif implicite de tout « débat » est d’élargir et de formaliser cet accord, les patrons Val et Messier se trouvèrent finalement très sympathiques. « S’il y a risque, pour les deux parties, de modifier quelque chose à la nature de la conviction de l’autre, on peut jouer », plaidera Val (NEM, 08.11.2000). Au terme du « débat », Val convenait que son ennemi n’était pas le capitalisme, ni la marchandisation universelle (« Il n’y a pas de démocratie sans marché », avait-il affirmé quelques mois plus tôt). Non, l’ennemi, c’était… les nazis ! Val expliqua : « Je suis sûr que Jean-Marie Messier est très attentif à ces problèmes [d’autocensure des salariés de Vivendi]. Mais il n’y aura pas toujours Jean-Marie Messier. [...] Qu’est-ce qui empêche, par exemple, qu’un fonds d’investissement nazi ou intégriste, religieux ou sectaire, mais qui cache sa nature, qui agit anonymement, de racheter 20 % de Vivendi. Trois mois plus tard, que devient cette production culturelle ? On édite La France juive de Drumont ? » On imagine à quel point cette sortie fit chanceler Messier. Philippe se trouva génial : quelques jours plus tard il publiait dans le Non-événement du mercredi (NEM), son journal intime hebdomadaire, le verbatim de son bavardage sur quatre pages – et en deux épisodes. Aussi modeste que son ancien homologue nord-coréen, le Kim Il-sung de la rue de Turbigo intitula le dossier « Le débat de l’année ». Et il imposa qu’une annonce figure en « une » du NEM deux semaines consécutives. Aux lecteurs troublés par la flaccidité de sa prestation, Philippe Val écrivit une longue justification (« Pourquoi ce débat ? » NEM, 08.11.2000) : « Il y a un danger extrême à laisser penser au public que l’opposition à cet ultralibéralisme échevelé est caricaturale, dogmatique. »
« Débattre » avec Messier, c’était s’en faire le marchepied. Même Val en avait convenu : « Le pire qu’il puisse arriver, c’est de devenir le bouffon du prince. » Mais il proclamait aussitôt : « Il n’en est pas question »… Si le service de communication de Vivendi s’était abstenu de répandre les photos du patron giflé en public à Bruxelles (lire p. 12 de ce numéro), il distribua le texte du « débat de l’année » à tour de bras. Un responsable de ce service pavoisait : « Un magazine interne, tout le monde s’en fout, il va directement à la poubelle. Mais une interview dans Charlie Hebdo, cela circule, parce que les gens trouvent cela rigolo et sympa de voir leur patron là-dedans, il les surprend. » (Libération, 04.12.2000) Messier venait de s’offrir une tribune gratuite dans un hebdomadaire, certes en perte de vitesse mais rarement soupçonné de complaisance à son égard. Sa performance lui ayant valu la dignité de chevalier de la Légion d’honneur au titre du ministère de l’Économie et des Finances (Le Figaro, 03.01.2001), l’ancien conseiller aux privatisations de Balladur s’empressa d’accepter une seconde campagne publicitaire, sous la forme d’un débat marathon avec Val. Mais cette fois, la mise en scène serait assurée non plus par Mouchard mais par Godard qui, après tourné Pierrot le Fou, rêvait de filmer Philippe le Fade et Jean-Marie le Fat. Libération s’esbaudissait : « Le patron de Vivendi […] avait déjà suscité une confrontation avec Philippe Val, l’éditorialiste de l’hebdomadaire contestataire [sic] Charlie Hebdo. Et comme il n’a vraiment peur de rien [sic], il a accepté une proposition de Jean-Luc Godard (excusez du peu !) : un débat filmé de vingt-cinq heures non-stop avec Val. » (Libération, 04.12.2000) Les derniers lecteurs de Charlie Hebdo, qui n’ont pas tous l’intrépidité de Messier, tremblent déjà à l’idée de se voir infliger la transcription de la prochaine jacasserie. Qu’ils se rassurent : Val les fera publier en huit volumes dorés sur tranche et il exigera qu’ils soient, comme ses récitals, annoncés chaque semaine dans la rubrique « Copinages » du NEM 8. Sur sa chemise boudinée, Jean-Marie Messier avait accroché le sésame contestataire des Guignols de l’info en faisant de leurs railleries le titre de son livre. Désormais, le patron de l’ex-Générale des eaux porterait également en sautoir l’insigne « rebelle » Charlie Hebdo et affermirait son image d’« entrepreneur » décontracté et ouvert à la contradiction. Et c’est juché sur les épaules soixantes-huitardes de Philippe Val, de Cabu, de Wolinski et consorts consentants que Messier expliquerait à Thierry Ardisson : « Ce qui est un peu fou, c’est de prendre un petit groupe français et d’en faire un numéro un dans les métiers de la com. Vous savez, ça me rappelle un peu le slogan de 68 : « Soyez réalistes, demandez l’impossible ». C’est le genre de défi que j’aime bien. » (« Tout le monde en parle », France 2, 16.12.2000). Pour éclairer les derniers naïfs sur la nocivité de l’idéologie du débat et sur sa capacité à convertir la contestation en courant d’air du temps, rien de tel que la grille de rentrée 2000-2001 de France Culture. Le 30 août 2000, Télérama annonçait : « Soucieuse de réhabiliter le débat d’idées, Laure Adler [directrice de France Culture] a convaincu plusieurs grands noms de la recherche et des médias de venir s’exprimer sur sa chaîne. » Surprise, on découvrait qu’aux côtés des éditorialistes omnibus et des intellectuels tout-terrain, Laure Adler avait distingué Philippe Val… Pourtant, un an plus tôt, Charlie Hebdo pourfendait la récupération de France Culture par le « boutiquier » Jean-Marie Cavada et s’indignait de la nouvelle grille de Laure Adler : « Le risque ? Quelque chose comme une radio de service de presse et de promotion. Et puis ce nouveau règne des animateurs vedettes, en provenance de la presse écrite, ne signifie qu’une chose : la confiance est donnée à une personnalisation de l’antenne. Le sujet s’efface derrière l’animateur qui doit apporter la caution prestigieuse de sa signature médiatique » (NEM, 10.11.1999). Ému d’être pris pour un homme de culture, Val n’eut de cesse de rassurer son employeur sur son absence de radicalité. Il plagia la rengaine de BHL consistant à assimiler extrême-droite et extrême-gauche 9. Et le « nouveau règne des animateurs vedettes en provenance de la presse écrite » lui parût moins scandaleux. Non contente d’amollir la « contestation », la comédie des débats étaye les miradors de l’ordre médiatique. Ainsi, se justifiant de l’intervention sur France Culture de « Susan George, José Bové, des journaux comme Charlie Hebdo ou Le Monde diplomatique », Laure Adler expliquait : « Ils posent de vraies questions. Mais nous devons aussi faire entendre d’autres voix. Notre antenne sera ouverte à un éventail d’opinions allant de l’extrême-gauche aux libéraux. Nous voulons être des éveilleurs de conscience ! » (Témoignage chrétien, 14.09.2000). Ainsi, pour équilibrer la demi-heure pâteuse du Monde diplomatique, les propos hébétés de Val, ou les lambeaux d’intervention de Bové, il fallait conforter les voix omniprésentes d’Alain Finkielkraut, de Sylvain Bourmeau, ou de Philippe Meyer. Adler injecta donc dans sa grille une brochette de réactionnaires supplémentaires : Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur), Alain-Gérard Slama (Le Figaro), Julia Kristeva (membre du service de propagande du Monde) et André Glucksmann (ancien éditorialiste de L’Express). La récupération ne fait que commencer. Karl Zéro, co-propriétaire d’un journal mensuel financé par Pinault et par Séguéla, rêve d’offrir un cadeau à son employeur de Canal+, Jean-Marie Messier : « Je vais monter le débat qu’il veut faire avec José Bové sur la mondialisation. Ce sera gore ! » (CB New, 06.11.2000). Le larbin chauve du patronat en frétille déjà.
7. La rue de Turbigo abrite les locaux de Charlie Hebdo. Le dictateur nord-coréen Kim Il-Sung érigea l’autoritarisme et le culte de la personnalité en système de gouvernement. 8. Dans la rubrique « Copinages » de Charlie Hebdo du 31 octobre 2000, trois des cinq « copinages » étaient au service de Philippe Val : un de ses concerts, un de ses forums de la FNAC, son émission de France Inter… 9.
C’est là son sujet favori. Par exemple, le 07.11.2000, l’émission
aphteuse de Sylvain Bourmeau « La suite dans les idées »
était consacrée à l’« antiaméricanisme ». Dans sa première
et principale intervention, Val professa : « L’Amérique
tient un rôle de bouc-émissaire. Dans les partis politiques qui
se veulent même de progrès, à la gauche de la gauche et bizarrement
à l’extrême-droite aussi. […] Ça, c’est une position qu’on
retrouve à l’extrême-droite et à l’extrême-gauche. Il y a quelque
chose aussi de l’antisémitisme dans l’antiaméricanisme, dans les
arguments qui nourrissent l’antiaméricanisme de gauche comme de
droite. » |
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